dimanche 1 mars 2015

Vandoeuvre : quand une enfant tue une autre enfant

Il ne s’est jamais vraiment remis du drame. La vision de la fillette morte, dans les toilettes, le hante toujours. Yannick Charron, était le proviseur du collège Callot de Vandoeuvre en 1995. C’est un homme solide, réfléchi, un pédagogue. Mais là, il a vacillé sur ses bases. « Quand vous avez appelé, je savais que c’était pour parler de ça. ». « Ça », c’est le meurtre d’une enfant, par une enfant, dans un collège.
Il répugne à en reparler. Peur de faire du mal, de rouvrir les blessures. « Quand les morts sont enterrés, il faut veiller à ne pas rallumer la mauvaise mèche ».
Le meurtre fut « un tsunami, pour l’établissement ». Depuis toutes ces années, il cherche des réponses. Mille fois il a refait le film, cherché les signes qui auraient dû alerter. « Mais personne n’a vu le coup arriver, même pas le prof qui les a eues en cours l’heure d’avant » se souvient-il. « Qui aurait pu imaginer que dans un établissement scolaire, une gamine de 5e pouvait en tuer une autre ? Entre une altercation qui tourne au pugilat et ce qui est arrivé on n’est pas dans le même registre. En Lorraine, les établissements étiquettes Réseau d’Éducation Prioritaire n’ont rien à voir avec les lycées de Créteil ou de Marseille. La Lorraine, c’est calme ».
La justice aussi a cherché à comprendre. On a examiné le contexte familial. Leila, la petite meurtrière, était issue d’une famille kurde, très attachée à ses racines culturelles, qui vit toujours à Vandoeuvre. Âgée aujourd’hui de 34 ans, elle est revenue chez les siens, sa peine purgée. Elle sort peu, elle a eu des problèmes de santé. Un de ses frères est en prison. À l’époque du drame, elle est une pré-ado rebelle. Un père ouvrier sidérurgique en retraite fatigué, une mère effacée, des frères et sœurs remuants, la vie de Leila n’est pas toujours facile. D’autant qu’elle entend vivre comme les petites françaises, sortir… « Un des frères était un militant kurde, la famille était proche, par sa sensibilité du PKK. Le Kurdistan, c’était déjà violent à cette époque » explique un travailleur social qui connaît bien la famille.
« Deux fois j’ai dû aller au lycée pour régler des problèmes causés par Leila. Elle avait un petit côté chef de bande, même si c’était une fille toute menue ». Au collège, où ses résultats scolaires étaient « catastrophiques » sans que ça semble l’affecter, on la savait colérique, dure et imprévisible. Elle avait aussi un ascendant moral sur la petite Sabrina, ce qui inquiétait beaucoup la mère de cette dernière.

Un ascendant moral sur Sabrina

La cellule Enfance maltraitée du Conseil Général de Meurthe-et-Moselle l’avait signalée « dangereuse » au parquet dès avril 1994, sans qu’aucune mesure judiciaire ne soit prise. De toute façon, ses parents n’avaient jamais déféré aux convocations de la police. Mais lors de l’instruction, on a découvert qu’elle avait fait l’objet de 104 sanctions disciplinaires prononcées par l’Education nationale, et qu’elle avait été virée du collège des Hauts de Penoy pour une agression sur un prof.
La famille de Sabrina a tenté de faire reconnaître « le laxisme et une succession de négligences » dans la gestion du dossier de Leila. Elle s’est heurtée à une fin de non-recevoir. Alors, on a essayé d’apporter des explications à cet acte dément. On a considéré qu’elle avait grandi dans un contexte culturel où la violence était banalisée, seule au fond, avec ses peurs et ses rêves. A cheval sur deux mondes, ses repères étaient faussés. Elle avait une culture et une expérience qui n’étaient pas celles d’une enfant de 14 ans. Le geste qu’elle a commis n’était pas celui d’une enfant.
http://www.estrepublicain.fr/actualite/2015/03/01/ce-fut-un-tsunami

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