mercredi 2 mars 2016

Nancy : un chômeur réclame du travail au bord de la route

Sa silhouette râblée se détache dans la brume du petit matin. Gilles Latraye est immobile au bord de la route. Le regard fixe et déterminé. Ce quinqua barbu semble insensible au froid. Les automobilistes qui sortent de Nancy en empruntant la voie express en direction des Vosges ou la petite route parallèle qui mène à Houdemont, ne peuvent pas le rater.
Un premier coup d’œil rapide pourrait laisser penser à un auto-stoppeur égaré dans la rigueur de l’hiver. Car l’homme a une pancarte à la main. Mais il n’y a aucune direction écrite dessus. Juste ces quelques mots effrayants qui disent tout : « Je veux travailler ». En dessous, figure son numéro de téléphone portable : « 06.59.07.83.51. »

« Le courage de faire ça »

« Je ne pensais pas que j’aurais le courage de faire ça », commente Gilles Latraye, encore étonné par son coup d’audace. Depuis lundi, il se poste au bord de la route de 6 h 30 à 8 h 30. Pour « mendier du travail ».
Il ne vit pourtant pas dans la solitude et la misère. Il est certes au chômage depuis deux ans et demi mais il n’est pas au bout du rouleau. Financièrement en tout cas. Moralement, c’est une autre histoire.
« Il reste souvent de long moment silencieux, perdu dans ses pensées. Je vois bien que ça ne va pas », s’inquiète son épouse, Roberte, femme de ménage. Le couple habite depuis 25 ans, dans un vieux mais chaleureux appartement d’un HLM de Vandoeuvre. Le fils de Roberte, intérimaire et âgé d’une trentaine d’années, vit avec eux. Une famille modeste mais unie.
Ce qui n’empêche pas Gilles Latraye d’être miné par des crises d’angoisse et des insomnies. Le chômage le ronge. Lui qui a toujours travaillé. Il a commencé très jeune par des petits boulots. « J’ai tout fait. J’ai même été mineur à Freyming-Merlebach pendant un an », se souvient Gilles Latraye. Il s’est ensuite engagé dans la Légion étrangère. Durant 5 ans. « C’était les meilleures années de ma vie », sourit l’ex-soldat.
A son retour dans le civil, il fait de la découpe de verre dans un magasin. Jusqu’à son licenciement économique en 1998. Il repart alors pour des boulots plus ou moins alimentaires dans le bâtiment. Il finit par décrocher un CDI, en 2007, dans une miroiterie des environs de Nancy. « Je travaillais sur une machine qui façonnait le verre. C’était un boulot difficile », se remémore Gilles Latraye.

« Peur du regard des autres »

Sa vie professionnelle bascule en septembre 2011. Une lourde charge à porter. Son bras qui cède. Diagnostic : rupture du long biceps et « une épaule déglinguée ». Malgré la rééducation, il est viré pour inaptitude en juin 2013.
Il entame une procédure contre son employeur. Elle est toujours en cours. En attendant, à 57 ans, il doit affronter le chômage. Et une reconversion, car il ne peut plus porter de charges lourdes. « Je réponds à toutes les offres d’emploi et de formation mais nous sommes tellement nombreux à postuler que cela ne marche jamais. Je n’arrive pas à me démarquer. Je me suis donc dit qu’au bord de la route, au moins, je n’aurais pas de concurrence », explique Gilles Latraye.
« Je n’étais pas trop chaude pour qu’il fasse ça. J’avais peur du regard des autres… », avoue son épouse qui finalement assume le choix de son mari. Pour l’instant, seul un boulanger a arrêté sa voiture pour se renseigner sur sa situation mais il n’a pas rappelé pour proposer un travail.
« En revanche, j’ai beaucoup de geste de bonjour et de coups de klaxon amicaux », précise Gilles Latraye. Combien de temps va-t-il rester au bord de la route ? « Jusqu’à ce que j’en ai marre. Après, je passerais à la phase 2… »

http://www.estrepublicain.fr/edition-de-nancy-ville/2016/03/01/nancy-un-chomeur-mendie-du-travail-au-bord-de-la-route

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