mercredi 23 avril 2014

La mort au bout de la galère pour deux jeunes SDF

REIMS (51). À dix jours d’intervalle, deux jeunes hommes, âgés de 32 et 28 ans, se sont pendus sur le site abandonné du Sernam, depuis des années devenu le domicile des sans-domicile
Ils s’appelaient Julien Da Silva Alves et Terry Batteux. Étaient âgés de 28 et 32 ans. Vivaient dans la rue depuis des années. La conséquence de ruptures diverses et variées. Le premier s’est suicidé voici une dizaine de jours. Le second en a fait de même dans la nuit de jeudi dernier. Deux morts par pendaison. Les corps ont été découverts sur l’immense site du Sernam, laissé à l’abandon depuis des années et squatté par des sans-domicile-fixe impossibles à recenser. Lundi soir, la jeune association Maraude citoyenne rémoise, née en janvier, organisait une marche blanche à la mémoire des disparus. Une seconde marche, initialement programmée ce mercredi après-midi par le service départemental de prévention rattaché au conseil général, a été annulée hier, faute de nouvelles de la sous-préfecture.
Lundi soir, donc. Rendez-vous était fixé devant une enseigne de la place d’Erlon. Là où Terry Batteux avait pour habitude de jongler. Dans le cortège, une cinquantaine de personnes est recensée. À peu près autant de bénévoles de Maraude citoyenne rémoise que de sans-domicile. Parmi ces derniers, hormis quelques vieux routards de la rue, beaucoup de jeunes hommes. Quelques femmes aussi. « Ne prends pas de notes », nous avait dit l’une d’elles. La marche commence derrière une banderole : « Aidez-nous à les aider. » Les visages sont ceux des jours mauvais. Mines grises et chuchotements. Julien Da Silva Alves et Terry Batteux sont morts. Et pour la plupart de ceux qui sont là, c’est impossible.
« Terry, il n’allait pas bien. Il était usé. Mais quand je l’ai vu jeudi soir, il riait encore », peine à expliquer Zahia Nouri, fondatrice de l’association. Une autre bénévole se souvient : « Quelques jours avant sa mort, il m’avait demandé si on allait continuer à venir cet été. Il avait pris le repas de notre maraude et avait l’air plutôt en forme. »
Le cortège passe devant la fête foraine, de laquelle montent des cris d’enfants aux prises avec les manèges. Et on y arrive, sur ce site du Sernam, devenu depuis le départ des derniers trains de marchandises le domicile des sans-domicile-fixe. Des milliers de mètres carrés sur lesquels, au fil des ans, le végétal a regagné du terrain. Un peu partout sur le site, des piaules ont été sommairement aménagées. Depuis combien de temps les SDF se sont-ils approprié ce lieu ? « Depuis qu’on a vu qu’on pouvait y vivre », nous répond un homme pressé d’abréger la conversation. Personne ne sait combien ils sont, ni même sans doute qui ils sont. Quelques associations comme le Secours populaire ou le Secours catholique (la liste ne se veut pas exhaustive) œuvrent encore, sur place ou à proximité : l’une propose des repas et quelques produits d’hygiène, l’autre lave le linge contre un prix symbolique et dérisoire et c’est à peu près tout. Il était une fois la dégringolade sociale…

« Comment peut-on encore avoir de l’espoir ? »

Avec deux pierres, un drapeau du Portugal, le pays de Julien Da Silva Alves, est fixé à même le sol. Ambiance lourde. Un proche du jeune suicidé s’énerve et disparaît. Quelques mots sont griffonnés au marqueur sur la banderole. Les bénévoles écoutent ceux qui veulent parler. Les autres se taisent. Dents serrées et larmes aux yeux pour certains. Tout ce petit monde repart. Terminus de la marche blanche devant le dernier domicile de Terry Batteux. Quelques-uns y entrent. Zahia Nouri nous propose d’y aller également. « C’est la première poutre, celle avec laquelle il s’est pendu », nous souffle-t-on. Une entrée minuscule ouvre sur un intérieur sombre. Matelas en mousse, petite table et détritus. Collé au mur, deux photos. L’une montre une femme nue, la seconde Terry Batteux, visage fin et sourire XXL. L’image unique que nous aurons de lui. Le marqueur passe de main en main pour un dernier hommage. Son dernier colocataire est dévasté. Une jeune femme tente : « Il avait quand même une sacrée gueule de c…, Terry ! » Une autre pleure en souriant.
Dehors, un jeune SDF, jetant sa canette de bière, en apostrophe un autre : « Tu crois que t’es le seul à dérouiller ? » D’autres vont le calmer. Ceux qui ne vivent pas là décident de s’en aller. Sur le retour, une bénévole soupire : « On a beau y venir, on n’imagine pas ce que c’est de vivre là ! Sans même parler de trouver un boulot ou je ne sais quoi, comment peut-on encore avoir de l’espoir quand on en est arrivés à vivre là ? Mourir si jeune, quand même ! »

http://www.lunion.presse.fr/region/la-mort-au-bout-de-la-galere-pour-deux-jeunes-sdf-ia3b24n336482

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