vendredi 17 mai 2013

Audincourt (25) : « On nous a enlevé notre pilier »

Exceptionnelle audience. Exceptionnelle ambiance. Gens exceptionnels. Les dossiers d’accident de la route débouchant sur la mort d’un homme ou d’une femme mettent en exergue des sentiments extrêmes. La confrontation avec celui ou celle qui a ôté cette vie cristallise la douleur et les rancœurs.
Jeudi après-midi, la famille Bensemcha a fait preuve d’une dignité absolue. Quand Claude, le chauffeur de bus responsable de la mort du patriarche de cette famille de dix enfants et 25 petits enfants s’avance et leur tend la main, les membres de la famille l’acceptent. Comme ils échangeront à l’issue de l’audience dans une communion exemplaire.
Le président Troilo l’avait dit d’emblée : « Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans le cas d’un chauffard. Il n’y a ni alcool, ni vitesse excessive. Juste un concours de circonstances ». Le 12 mars dernier vers 16 h 40, Abdelkader Bensemcha, 78 ans, traverse la route sur un passage protégé, place du Temple, à Audincourt.

Un instant rarissime

Soudain, le bus redémarre de son emplacement. Claude, 56 ans, chauffeur pour le compte de la CTPM depuis 23 ans, dit ne pas avoir vu le piéton. Il ne se cherche aucune excuse. « J’étais dans mon boulot à 100 %. J’avais fini de regarder dans mes rétroviseurs. La seule explication que je puisse voir, c’est que le monsieur se trouvait dans l’angle mort quand j’ai redémarré ». Selon un témoin de la scène, le septuagénaire traversait la chaussée sur les clous, l’attention captivée par des tickets à gratter. Il aurait marqué un arrêt au milieu de la route avant de repartir. Une conjonction de circonstances, comme le disait le président, qui aboutit au drame. Lorsqu’une passagère crie au chauffeur, il est déjà trop tard. La tête d’Abdelkader Bensemcha vient de heurter le bus. La chute est lourde. Les conséquences irréversibles. Les détails énoncés par le président ravivent la douleur de la famille.
Invitée par le magistrat à la barre, l’une des filles vient parler de son père. « On n’accepte pas la façon dont il est parti. On reste sur ces larmes-là. Et moi qui lui disais toujours de faire attention. De bien traverser sur les passages piéton… » Elle parle avec amour de ce père aimant, enjoué et de cette cruelle absence. « On nous a enlevé notre pilier », dit-elle sobrement. Mais pas de haine. Ni de demande de réparation. « Parce que notre papa n’aurait pas voulu cela ». L’instant est poignant.
La procureur circonscrit les faits par « un délit non intentionnel aux conséquences gravissimes. Dramatiques ». Elle requiert un mois de prison avec sursis, une suspension du permis de conduire pendant quatre mois et une amende. Avant de se retirer pour délibérer avec ses deux assesseurs, avec infiniment d’humanité et de tact, Alain Troilo prépare la famille Bensemcha en lui expliquant la manière d’appréhender la chose du point de vue de la justice : « Plus la faute est grave, plus la sanction est lourde. C’est cela que juge le tribunal. Plus la faute apparaît vénielle, moins la sanction est importante. Je voulais vous l’expliquer ».
La famille l’avait compris. Le chauffeur de bus est condamné à 1 600 € d’amende avec sursis. Ni prison avec sursis, ni suspension du permis. « Parce que la faute était vénielle », répète le président.
Encore fallait-il trouver une famille en capacité de l’entendre et le comprendre. L’audience était exceptionnelle à tous les égards. Comme il est rarissime de voir les deux parties quitter la salle et se prenant dans les bras les uns des autres.
http://www.estrepublicain.fr/justice/2013/05/17/audincourt-(25)-on-nous-a-enleve-notre-pilier

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